Noël 2025 : privilégier l’expérience pour sortir de la routine du cadeau standardisé

Franck Lehuédé, Claire Martin, Thierry Mathé

Consommation & Modes de Vie N°CMV353

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Résumé

Au printemps dernier, le CRÉDOC révélait que près de trois Français sur dix avaient eu recours, lors des douze derniers mois, à des prestations de loisirs haut de gamme : concerts et spectacles premium, événements sportifs majeurs, séjours exclusifs, parcs à thème ou encore restaurants d’exception. Ces achats répondaient à une double aspiration : bénéficier d’un confort supérieur et vivre une expérience singulière, capable de rompre avec la routine quotidienne. Les Français expriment ainsi leur envie de vivre des émotions au lieu de détenir de plus en plus d’objets.

Dans la continuité de ces analyses, le CRÉDOC s’est intéressé à la place qu’occupe cette quête d’expériences dans les cadeaux échangés pour les fêtes de fin d’année. L’enquête Conditions de vie et aspirations des Français montre que les expériences s’imposent comme une composante importante des cadeaux de fin d’année. Une large majorité de Français (57 %) envisagent d’offrir une activité, un repas, un séjour ou une sortie culturelle, signe d’une attention portée à vivre des émotions plutôt qu’à détenir des objets. Ce phénomène est plus souvent porté par les jeunes, les cadres et les urbains. Il s’explique d’abord par la volonté d’échapper à la routine des cadeaux matériels standardisés. Il tient également au désir de proposer un présent plus personnel, capable de renforcer le lien entre l’offreur et le receveur. Enfin, il repose sur la recherche de simplicité, ces cadeaux étant considérés comme pratiques à acheter, faciles à transporter et d’un bon rapport plaisir budget.

Près de six Français sur dix prévoient d’acheter des « cadeaux expérientiels »

Offrir un repas dans un restaurant gastronomique, un moment de détente au spa, une escapade dans une ville d’art… à l’approche des fêtes, les Français confirment leur attrait pour des présents dits « expérientiels ». Ces cadeaux prennent la forme d’activités, de découvertes ou de moments partagés permettant de vivre une expérience culturelle, de bien-être ou récréative, procurant des émotions positives et parfois fortes. Cette tendance est aujourd’hui largement ancrée : 57 % des Français prévoient d’offrir au moins un « cadeau expérientiel » à Noël parmi les dix proposés.

Les repas au restaurant s’imposent comme le choix privilégié, cités par 33 % des Français. Ils sont suivis de près par les soins bien-être (29 %). Viennent ensuite les voyages et séjours en hôtel (18 %) tandis que les expériences culturelles (visiter une exposition, un musée, un salon, assister à un spectacle) sont choisies par 10 à 20 % des enquêtés. La diversité de ces propositions est notable. Près d’un Français sur cinq (19 %) prévoit d’offrir au moins quatre types de « cadeaux expérientiels ».

Ces présents viennent enrichir la palette des cadeaux placés sous les sapins. 55 % des Français prévoient ainsi d’offrir à la fois des « cadeaux expérientiels » et d’autres types de cadeaux, en premier lieu des objets mais aussi des abonnements à des plateformes vidéo, musicales, de la presse ou des livres numériques, contre 27 % qui optent uniquement pour des objets. Ces derniers demeurent un pilier essentiel des cadeaux de fin d’année : plus de la moitié des Français prévoient d’offrir un produit de beauté ou un parfum (54 %), des jeux ou jouets hors consoles (52 %), des articles de mode (50 %) ou encore des produits culturels tels que des livres, BD ou CD (50 %).

Des jeunes, des ménages aisés et des urbains

Les personnes envisageant d’offrir des « cadeaux expérientiels » ont des profils proches de ceux des consommateurs de loisirs premium, activités pratiquées justement pour vivre une expérience singulière, à même de rompre avec la routine quotidienne.

Il s’agit plus souvent de jeunes. Issus de générations privilégiant l’usage plutôt que la possession d’objets, ils appliquent aux cadeaux les principes qu’ils adoptent pour leurs propres pratiques.

Les catégories socioprofessionnelles supérieures sont également plus nombreuses à offrir de telles expériences, en cohérence avec leurs propres habitudes de consommation de loisirs et de services premium.

Les Franciliens recourent aussi plus fréquemment à ce type de présents, même en tenant compte d’autres facteurs pouvant influencer l’achat de « cadeaux expérientiels » comme les différences d’âge, de revenus et de catégories socioprofessionnelles. Ils bénéficient d’un accès plus large aux offres culturelles et de loisirs propres aux grands centres urbains. Enfin, les hommes envisagent plus d’offrir ce type de cadeaux.

À l’inverse, les ouvriers et employés privilégient davantage les objets, à la fois pour des raisons de nécessité (profiter des fêtes de fin d’année pour offrir des cadeaux utiles, dont le besoin se fait sentir) et en raison d’une conception de la consommation valorisant la possession d’un objet plus que son usage.

Sortir de la routine des objets standardisés

Pourquoi offrir une expérience plutôt qu’un objet pour les fêtes de fin d’année ? Pour 40 % des Français, il s’agit principalement de sortir de la routine des cadeaux traditionnels. Le rituel qui consiste à offrir des objets standardisés, solidement ancré depuis le milieu du

XIXe siècle avec l’essor des grands magasins, s’est diffusé au gré du développement de la société de consommation, d’abord aux États-Unis dans l’entre-deux-guerres, puis en Europe à partir des années 1950-1960. Comme l’a montré la sociologue Martyne Perrot, le cadeau est ainsi devenu un objet marchand, d’abord modestement, avant que ce phénomène ne prenne l’ampleur que l’on connaît aujourd’hui. Une étude de l’ADEME évalue que chaque personne offre en moyenne sept cadeaux lors des fêtes de fin d’année. 77 % d’entre elles optent pour des produits neufs. Dans ce contexte très codifié, les cadeaux expérientiels apparaissent comme une manière de renouveler ce rituel, en proposant une offre différente et plus personnelle.

Car offrir un cadeau est un acte fortement symbolique. Il sert à renforcer le lien entre celui qui donne et celui qui reçoit. Il témoigne d’une attention particulière à l’autre. C’est aussi le cas pour les « cadeaux expérientiels ». 36 % des Français offrent d’abord une expérience parce que la personne en a formulé le souhait ou parce qu’ils savent que cela lui plaira. C’est l’une des deux motivations les plus répandues pour offrir ce type de présents. Le fait de se conformer aux souhaits de la personne évite d’offrir un cadeau trop impersonnel. Il empêche aussi de franchir certaines frontières morales comme offrir un cadeau trop intime ou trop coûteux. Il matérialise l’importance que l’on accorde à la personne à qui est destiné le cadeau.

Les présents expérientiels portent une charge symbolique plus forte que des objets standardisés. Plus personnels, moins interchangeables, leur valeur apparaît élevée aux yeux de la personne à qui ils sont offerts, comme pourrait l’être un objet fabriqué par soi-même. Offrir une expérience contribue ainsi à créer ce que Viviana Zelizer nomme un registre d’affection spécifique : un temps vécu ensemble, un souvenir commun, un « marquage » durable de la relation. L’expérience est alors déjà contenue dans l’acte même d’offrir.

Vivre une expérience unique plutôt que détenir un objet supplémentaire

Au-delà de cet acte, la valeur d’un cadeau expérientiel réside dans l’émotion ressentie lorsque l’expérience sera vécue, un moment qui renforce d’autant plus le lien entre le donneur et le receveur s’il est partagé. Ainsi, 22 % des acheteurs citent pour offrir un tel cadeau en premier lieu la possibilité de vivre un moment unique ensemble.

Cet attrait pour l’expérience plutôt que la détention d’objets est typique d’une société d’abondance, où les biens matériels sont largement diffusés et ne constituent plus les seuls éléments distinctifs. Les Français se différencient désormais davantage par ce qu’ils vivent que par ce qu’ils possèdent. Interrogés par le CRÉDOC sur leurs représentations du bonheur, nos concitoyens déclarent investir aujourd’hui le registre de l’émotion, du vécu et de l’accomplissement, là où, 30 ans plus tôt, ils mettaient en avant celui de la possession d’objets.

Dans cet esprit, 22 % affirment qu’offrir une expérience permet surtout de faire plaisir à quelqu’un qui possède déjà tout le nécessaire. Offrir des cadeaux expérientiels s’inscrit ainsi dans une logique de sobriété et de désencombrement. 16 % des Français souhaitent éviter l’accumulation d’objets chez la personne à qui ils offrent cette expérience. Un tel cadeau permet de s’affranchir du cycle de vie matériel des biens (recevoir, stocker, jeter). Le vieillissement de la population renforce ce sentiment de disposer de tout ce dont on a besoin, les plus âgés ayant eu davantage de temps pour accumuler des objets au fil des années.

Simplifier les achats de Noël

Les cadeaux expérientiels sont aussi recherchés parce qu’ils simplifient le processus d’achat : 18 % des acheteurs estiment qu’ils sont rapides à acquérir, évitent les déplacements et n’encombrent pas leur domicile, un argument plus souvent porté par les jeunes et les urbains, davantage concernés par des logements exigus et par des déplacements en transport en commun pendant les fêtes.

L’attractivité de ces présents tient aussi à leur équilibre coût/plaisir : 17 % estiment qu’il s’agit du cadeau qui fera le plus plaisir compte tenu de leur budget. Enfin, pour 17 % des acheteurs, ils permettent de réduire le risque d’erreur lorsqu’on connaît mal les préférences du destinataire.

Seuls 8 % des consommateurs déclarent envisager d’offrir des cadeaux expérientiels parce qu’ils sont meilleurs pour l’environnement, alors même que 66 % des Français se disent préoccupés par l’avenir de la planète. Sans doute, les informations manquent-elles pour déterminer si un « cadeau expérientiel » est réellement plus écologique qu’un objet. De plus, les fêtes de fin d’année ne constituent pas un moment propice à la prise en compte des enjeux environnementaux. Selon l’ADEME, plus de la moitié des Français n’ont jamais réfléchi aux impacts environnementaux des fêtes, et 39 % y ont pensé ponctuellement. Pour un quart des personnes interrogées, cette période est même synonyme de relâchement, où elles s’autorisent à déroger momentanément à leurs principes environnementaux. Faire plaisir prime alors sur une consommation exemplaire. Dans l’enquête de l’ADEME, seuls 10 % des répondants déclarent que les enjeux environnementaux influencent réellement leurs choix de consommation ou de mobilité à Noël. Une proportion que l’on retrouve ici dans les motivations pour acheter une expérience. Les cadeaux restent souvent associés à une logique de superflu. Ils s’accordent mal avec l’idée de sobriété.



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