Micro-économie de la consommation médicale

A. Mizrahi

Sourcing Crédoc N°Sou1978-2172

Résumé

La consommation médicale est définie comme l’ensemble des biens et services obtenus ou achetés par les particuliers auprès des entreprises médicales.

Elle représentait en France, en 1970, 9,7 % de la consommation des ménages ; sa progression, au cours des 30 dernières années, a été extrêmement rapide, de multiples raisons concourant à cette évolution : développement des techniques médicales, amélioration de la législation sociale, allongement de l'espérance de vie.

Le fil directeur des travaux dont la synthèse est présentée ici est que la consommation médicale d'un individu peut être "expliquée" par quatre grandes catégories de facteurs : - son état de santé (variables biologiques] ; - ses caractéristiques économiques et sociales ; - sa situation dans le contexte d’offre de soins médicaux ; - le système des prix et la réglementation en vigueur.

On distingue, d'une part les soins aux malades hospitalisés, d’autre part la consommation des malades ambulatoires et soignés à leur domicile (dite consommation médicale de ville). L'hospitalisation est un phénomène relativement rare, on observe en un an (19703 un séjour en établissement hospitalier pour 12 personnes environ ; la majorité de cette clientèle se répartit entre les hôpitaux généraux publics (44,6 % des séjours] et les cliniques du secteur privé (47,2 % des séjours]. Les principaux motifs d’hospitalisation sont les grossesses et accouchements, les maladies du tube digestif, les accidents et traumatismes. Les soins de ville, beaucoup plus fréquents puisque plus d’une personne sur deux y fait appel en trois mois, sont composés de soins de médecins (3,-66 séances par personne et par an], d'analyses de laboratoire, de soins dentaires, de soins d’auxiliaires et de produits pharmaceutiques (17,38 unités de vente par personne et par an].

Parmi les variables individuelles, l’âge et le sexe jouent un rôle essentiel. Dans le modèle des seuils, décrivant une observation instantanée, la distribution des dépenses est à trois paramètres dont l’un, la médiane, dépend de l’âge et du sexe, et le deuxième, le seuil, des variables socio-économiques. Comme la dépense moyenne, cette médiane varie avec l’âge selon une forme en U : pour les hommes, on a un maximum local pour les enfants, suivi d'une décroissance jusqu’à un minimum situé entre 10 et 20 ans, puis une croissance d'allure exponentielle ; pour les femmes, la courbe est de même nature, avec toutefois une bosse entre 2D et 4G ans (liée à la maternité]. L'hospitalisation, évaluée en taux de sorties pour 100 personnes, suit à peu près la même variation avec l’âge et le sexe que la consommation médicale totale, avec toutefois des maxima moins accentués aux âges extrêmes, mais un maximum très marqué correspondant à la maternité.

La variation avec l’âge et le sexe des soins de généralistes et d’infirmières, ainsi que des acquisitions de produits pharmaceutiques, présente la même allure que la consommation médicale totale ; les soins de spécialistes, par contre, de même que ceux de masseurs-kinésithérapeutes, ne semblent pas dépendre significativement de l'âge ; les soins dentaires enfin, suivent une variation inverse : nuis aux âges extrêmes, ils sont maximums entre 10 et 4D ans.

V

L’effet des facteurs économiques et sociaux est étudié après élimination de l'influence des différences de structures démographiques, aussi bien en ce qui concerne le niveau de la consommation médicale que sa structure. On distingue, entre autres, le revenu des ménages, le mode de protection sociale, la catégorie socio-professionnelle, le niveau d’instruction, la taille du ménage, la taille de la commune de résidence. L’analyse globale des résultats fait apparaitre trois phénomènes importants :

- la consommation médicale totale varie peu en niveau avec les variables socioéconomiques ;

- cependant, la structure de cette consommation varie considérablement : les groupes favorisés ont une consommation supérieure de soins "de ville", et inférieure de soins hospitaliers ; à l’intérieur même de chacune de ces deux catégories, on retrouve des clivages similaires selon la nature des soins reçus ;

- les études d'effets croisés font apparaitre un effet synergique très marqué pour les groupes défavorisés : l’effet cumulé de plusieurs causes de pauvreté semble être plus important que la simple addition des effets de chacune des causes prise isolément.

Les études d’économie médicale font rapidement apparaitre la nécessité de mesurer la morbidité ; cette mesure présente cependant des difficultés, aussi bien conceptuelles que d'observation. Il faut d'abord distinguer les différentes approches possibles : nosologique, fonctionnelle, socio-économique ; dans chacune de ces optiques se posent les problèmes des unités de mesure, d'identification, d’observation. Ces études doivent distinguer la morbidité existante (un jour donné] de la morbidité incidente (au cours d'une période donnée).

Pour mesurer la morbidité sous l'angle nosologique, on dénombre les personnes souffrant des différents symptômes ou affections ; ces "maladies" sont repérées dans les enquêtes auprès des ménages, soit à partir de réponse positive à une liste réduite de grands groupes, soit comme motif de consommation médicale, d’alitement ou d’interruption d’activité. En 1970, en France, 2,15 "maladies" par personne ont été relevées ; l’étude a été menée pour chaque type d'affection, selon l’âge et le sexe. L'approche fonctionnelle a été abordée en distinguant l’inaptitude au déplacement (invalidité habituelle), les interruptions d'activité et les alitements. Enfin, un indicateur synthétique, le degré de morbidité, a été mis au point et appliqué à un échantillon de 1 000 personnes environ, représentatif de la population parisienne; l'étude de cette variable et de sa liaison avec les caractères socio-économiques et la consommation médicale montre que, d'une manière générale, la morbidité ainsi mesurée des groupes défavorisés est relativement plus élevée que celle des groupes favorisés; comme on a vu par ailleurs que leur consommation médicale est légèrement inférieure, il apparait qu’à morbidité égale leur sous- consommation devient importante: ainsi, par exemple, les ménages de manœuvres et d'O.S. se soignent, à morbidité égale, près de trois fois moins que ceux des cadres supérieurs.

L’observation directe et la mesure de l’influence de l’offre de soins sur la consommation médicale sont conduites de différents points de vue:

- on étudie d’abord l’effet de la distance entre le lien de résidence du consommateur et un équipement lourd (l'hôpital) sur la consommation directe du produit de cet équipement (l'hospitalisation) ; la décroissance de l’attraction de l’hôpital a l'allure d’une exponentielle, dont les paramètres dépendent des caractéristiques de l’hôpital et de l’action concurrente des établissements voisins ;

- on décrit en second lieu, les implantations des personnels médicaux et les densités qui s'en déduisent ; la répartition des généralistes est relativement uniforme puisqu'on en trouve toujours un à moins de 20 Km alors que les spécialistes sont beaucoup plus concentrés dans les villes. En règle générale, la consommation décroit lorsque la distance au producteur augmente, cependant, par un effet de substitution, la consommation augmente paradoxalement avec la distance lorsque le malade peut éviter de se déplacer [soins de généralistes, produits pharmaceutiques) ;

- d'un point de vue plus global, on déduit des effets de la structure d’offre à un moment donné (1970) sur la consommation médicale des particuliers, une évaluation du degré de diffusion de chaque type de soins ; on dégage ainsi l’existence d'une médecine de ville bien diffusée, centrée autour des soins de généralistes, en opposition avec les soins plus techniques et spécialisés, atteignant davantage les couches les plus favorisées de la population. On tente enfin une première analyse des processus de soins (ou circuit du malade); on voit apparaitre la place à part de la pharmacie non prescrite et la liaison(aller-retour) tout à fait générale de l'omnipraticien avec les différents types de soins.

□ans un secteur encore essentiellement régit par l’économie de marché, l'intervention d'un tiers financeur partiel, la Sécurité Sociale, déplace les équilibres et introduit des distorsions : les tarifs ne sont pas les prix et une observation directe de ces derniers en est rendue nécessaire. En ce qui concerne l’hospitalisation, les systèmes de tarification différents dans le secteur public et le secteur privé rendent la comparaison délicate et il est proposé une méthode relativement simple pour aborder ce problème: il en ressort que l'écart entre ces deux secteurs, très nettement inférieur à ce qui pourrait résulter d'un examen superficiel, est certainement inférieur à 10 %; en tout état de cause, il s’agit là d’une première approche ne prenant pas en compte les soins effectivement fournis aux malades hospitalisés. En ce qui concerne la pratique libérale, l’analyse fine des prix pratiques et des soins fournis permet de décrire les modalités de paiement et d’évaluer les dépassements de tarifs : ces dépassements étaient, en moyenne, en 1970 en France, de l'ordre de B % pour les généralistes, de 13 % pour les spécialistes.

La qualité des données sur lesquelles reposent les résultats obtenus nécessite un double effort : création de sources nouvelles et études critiques de fiabilité. L’essentiel des données actuellement disponibles provient des enquêtes spécialisées de l’INSEE, dont le renouvellement est préalable à l’étude micro-économique des évolutions. L’ensemble des travaux effectués en France en micro-économie de la consommation médicale depuis 1957 permet de disposer déjà d'un grand nombre de résultats ; ce champ reste cependant largement inexploré et de nombreux projets sont actuellement à l'étude ou en cours de réalisation.


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