L'étalement des vacances Libertés et contraintes des ménages

J. Taboulet - B. Riandey - A. Foulon

Sourcing Crédoc N°Sou1978-2170

Résumé

Vacances de masse, transports de masse, concentration de masse, tels sont quelques-uns des aspects des congés payés accordés par la loi s'il s'agit de travailleurs salariés, des vacances s'il s'agit des professions indépendantes. Une autre conséquence de ce tourisme de masse est la coupure de l'activité économique bien plus sensible que celle introduite par la succession des années civiles.

Il y a plus de dix ans, le CREDOC illustrait les proportions considérables de ces départs en vacances par les lignes suivantes :

"Les mobilisations générales du 3 Août 1914 et du 3 Septembre 1939 qui ont entraîné dans les 15 premiers jours le départ, l'une de 3 700 000 hommes, l'autre de 4 650 000, ont profondément marqué les Français et restent encore présentés à l'esprit de beaucoup d'entre eux. Mais a-t-on nettement pris conscience que cette autre mobilisation pour la paix et le loisir, que constitue la période de pointe de fin Juillet début Août, met sur pied de guerre chaque année toute l'industrie des transports, toutes les forces nationales de police et concerne quelques vingt millions de personnes dont plus de 10 millions dans les 15 jours qui précèdent ou suivent le 31 Juillet ? Et se rend-on véritablement compte qu'il faut aussi transporter, héberger, nourrir et équiper cette troupe de vacanciers indisciplinés qui exige en outre d'être divertie pendant un mois si ce n'est plus, et va s'efforcer de profiter du maximum de cette période toujours trop courte à ses yeux, bien que de plus en plus longue, que représentent les vacances".

Cette réflexion nous amène tout naturellement au problème de l'étalement des vacances, aujourd'hui encore si mal réalisé. Celui-ci tire pour une bonne part son origine de facteurs historiques.

Une ancienne revendication syndicale visait par réaction contre la pénibilité du travail manuel à obtenir la réduction du nombre d'heures hebdomadaires (48 heures votées sous l'impulsion de Clémenceau à la fin de la première guerre,

40 heures sous le "Front Populaire" en 1936). L'objectif poursuivi était de permettre aux travailleurs de bénéficier davantage de repos et en même temps de loisirs.

A cette revendication s'en ajoutait une autre visant à couper l'année de travail. Cette dernière qui va donner naissance aux deux semaines de congés payés est analogue aux vacances scolaires c'est-à-dire à la "période pendant laquelle les écoles, les facultés, rendent leur liberté aux élèves, aux étudiants" (Robert).

Or, la terminologie utilisée à l'époque est une source de confusion dans la mesure où congés et vacances sont des synonymes employés l'un pour l'autre. Cette notion de temps libre, de repos, de loisirs, n'implique pas alors un départ.

‘'Vacances" qui tire son origine de "vacant, absent, oisif" est même employé à partir de 1907 pour désigner le temps de repos accordé aux employés. "Congé" signifie "la permission de s'absenter, de quitter un service, un emploi, un travail". (Robert).

Il est nécessaire de différencier ces deux mots. Pour les salariés, "congé" désignera dorénavant la période pendant laquelle ils s'arrêtent de travailler tout en continuant de percevoir leurs rémunérations, en vertu de la législation sur les congés payés, pendant que "vacance" s'appliquera au fait que ces mêmes travailleurs quittent leur domicile pour une période fixée dans cette étude à au moins une semaine.

Autrement dit, pour les salariés, les congés sont un droit et les vacances sont l'utilisation de ce droit qui revêt la forme d'un départ effectif vers d'autres lieux (France, étranger, mer, montagne, ...). Cette distinction se retrouvera dans les "partants et non—partants". En revanche, les professions indépendantes qui ne bénéficient pas des congés payés, ont seulement des vacances. Les termes "partants" et "non—partants" seront également utilisés.

Ces précisions de terminologie sont nécessaires pour pouvoir étudier les différentes modalités du fractionnement, de la durée, de l'époque de ce qui est devenu trop souvent le non-étalement des vacances.

Ses causes peuvent être imputées à différents facteurs qu'on se limitera à énumérer :

. accroissement continu du niveau de vie des consommateurs, duquel découle l'attachement porté aux vacances,

. multiplication du nombre des automobiles permettant, théoriquement, de se déplacer individuellement de façon isolée et qui, du moins apparemment, laissent plus de degrés de liberté,

. allongement de la durée des congés payés fixée actuellement à quatre semaines,

. accroissement du nombre d'épouses exerçant une activité professionnelle,

. présence d'enfants jeunes dont les vacances scolaires doivent être prises au cours d'une période délimitée,

. modalités d'un système de fermeture des entreprises dont on peut penser a priori qu'il est assez rigide.

De leur côté, les entreprises subissaient une mutation qui n'a pas eu, semble—t—il, les répercussions correspondantes sur le régime de détermination des congés. Alors qu'en 1936 et au cours des premières années postérieures à la guerre, la fermeture obligatoire tendait à être la règle en raison de la présence majoritaire des "cols bleus" relativement au nombre de "cols blancs", la situation s'est assez profondément modifiée.

En effet, le nombre de "cols blancs" qu'on peut assimiler aux employés de toutes hiérarchies travaillant dans les bureaux s 'est accru généralement plus vite que celui des "cols bleus" travaillant dans les ateliers. Mais le régime d'attribution des congés ne se différenciait pas suffisamment pour tenir compte, d'une part des contraintes de la production pour ceux qui y participent directement et, d'autre part, des possibilités de roulement, c'est-à-dire d'harmonisation des dates entre collègues "employés" à l'intérieur des services souvent très importants.

Le résultat est bien visible. Le personnel de fabrication tend à partira des dates très proches, voire confondues avec celles du personnel des bureaux. L'addition de ces deux catégories de population est loin, comme on le sait, de contribuer à un étalement équilibré des vacances.

L'objet de l'étude est, dans une première étape, de mettre en évidence le comportement des ménages face aux problèmes des vacances, d'en donner la description tout en faisant apparaître les contraintes professionnelles ou familiales qu'ils subissent, en même temps que les libertés de choix dont ils peuvent disposer.

La seconde étape vise à "secouer les colonnes du temple" des vacances par le recours à des scénarios. Ceux-ci consistent à évoquer des situations au cours desquelles on réduit progressivement les contraintes dues aux dates de fermeture d'entreprises, au régime des vacances scolaires pour déterminer comment, dans ces hypothèses, les enquêtés réagissent et les choix de vacances qu'ils sont amenés à faire. Quelle est la forme que revêt alors la nouvelle appropriation de leurs dates de vacances ?

Ainsi, dans le cadre d'une étude R.C.B. sur l'aménagement du temps, les pouvoirs publics connaissant les comportements des ménages et leurs nouveaux choix, seront en mesure de formuler leurs propositions visant à améliorer l'étalement des vacances.

Les moyens — En étroite collaboration avec la Direction de la Prévision et du Commissariat au Plan, nous avons établi un questionnaire ambitieux d'une centaine de questions. La SOFRES a assuré la réalisation de l'enquête auprès du 1 517 ménages entre le 21 Mars et le 7 Avril 1978 et aussi le traitement des résultats qui ont déjà donné naissance à plus de deux cents tableaux. Le terrain choisi est celui de la Région Parisienne où l'on rencontre la population la plus importante, les niveaux de revenus les plus élevés, le plus grand nombre de partants, en exceptant, toutefois, les milieux agricoles et les inactifs qui sortent du champ de l'enquête.

Les limites — L'intérêt du sujet, sa vaste dimension, les aspects inédits du comportement des ménages nous ont fréquemment placés dans une situation délicate compliquée par les rigueurs d'un calendrier trop peu étalé. En effet, il n'a pas été possible de traiter de façon exhaustive tous les aspects de ces vacances particulières que sont celles des travailleurs.

Par exemple, on aura pu aborder que les flux de vacanciers alors qu'il aurait été indispensable d'étudier aussi comment "les stocks de vacanciers" existant à une période donnée attirent ou repoussent les flux des nouveaux arrivants. Ainsi on verra dans les scénarios que les ménages sont souvent amenés à préférer les premières quinzaines du mois plutôt que les secondes. L'explication réelle proviendrait de ce que sachant que les possibilités d'hébergement (campings, locations, hôtels ...) sont limitées, il est prudent d'arriver au moment où d'autres ménages les quittent plutôt que de venir se mêler à eux pour accroître encore les concentrations de populations.

En outre, d'assez nombreux points, comme on le verra, relèvent d'une véritable recherche. Il est en effet nécessaire de les approfondir pour donner un sens à ces travaux, en essayant de déceler des modèles dominants de vacances, vus non pas sous l'aspect du tourisme, mais de celui des travailleurs subissant des contraintes diverses et d'intensité souvent différentes.

L'examen des aspects portant sur la phase étude proprement dite n'était pas moins nécessaire encore qu'il reste probablement beaucoup à faire.


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