Les systèmes de sécurité sociale Une application du concept d'assurance aux risques du travail

L. Levy-Garboua - P. Louvet

Collection des rapports N°R18

Résumé

L'économie publique traditionnelle ne comporte pas de théorie positive des transferts sociaux. Elle essaie seulement de définir une norme de justice à l'aide de laquelle la justice de la répartition des richesses et des transferts peut être évaluée.

Le défaut de cette approche est que, ni l'état juste, ni les transferts qui en permettraient la réalisation étant donnée la répartition initiale, ne sont sûrement réalisables parce que les comportements des agents ne coïncident pas dans la réalité (c'est-à-dire pour une distribution initiale des richesses donnée) avec ceux que l'on suppose implicitement pour déterminer l'état optimal et les transferts correcteurs. Si l'on suit cette démarche, on est condamné à la frustration puisque la société ne ressemblera jamais à la norme qu'on voudrait lui imposer.

La théorie positive des transferts sociaux est donc à rechercher ailleurs, par exemple dans les contributions récentes d'économistes à l'analyse des choix publics et des groupes de pression (Louvet, 1986 présente une synthèse des premières). Mais nous voudrions emprunter d'abord une autre voie, mieux en accord avec la conception classique de la justice et des transferts sociaux, mais qui n'en possède pas le défaut majeur de ne pas être une théorie positive. C'est la théorie de 1'assurance. Les transferts de Sécurité Sociale, que nous appellerons parfois transferts sociaux pour abréger, en sont un domaine d'application rêvé, si l'on prend toutefois la précaution d'en exclure les allocations familiales. La croissance contemporaine très rapide des dépenses de Sécurité Sociale dans le monde entier fait de leur étude une priorité pour comprendre l'émergence de l'Etat-Providence et ses problèmes actuels.

Dès lors que la Sécurité Sociale est partout reconnue comme une création majeure de notre temps, et dès lors qu'une théorie classique lui est applicable, comment se fait-il qu'on ne l'ait pas appliquée plus tôt ? En fait, la théorie de l'assurance est utilisée par de nombreux auteurs dans l'étude de 1'assurance-chômage, de l'assurance-maladie et des assurances-invalidité ou accidents. La pratique est moins courante en matière de pensions de retraite et d'assurance-vieillesse ; et c'est justement ce régime que les américains, réalisant le plus grand nombre d'études accessibles, appellent "Sécurité Sociale". Ce qui manque à l'heure actuelle, c'est plutôt le résultat d'une vision d'ensemble des transferts sociaux comme assurance contre divers risques. Voilà donc l'objectif général assigné à notre étude. Mais il est naturellement hors de question de l'atteindre en tous points compte tenu de l'ampleur du sujet et des obstacles, d'ordre théorique et empirique, à surmonter.

La théorie de l'assurance, malgré un développement spectaculaire, n'a pas encore atteint sa pleine maturité puisqu'en particulier, il n'y a pas encore d'accord total sur le comportement "rationnel" des assurances et sur le concept d'équilibre concurrentiel adéquat pour représenter ce type de marché. On doit donc se contenter de modèles imparfaits d'un point de vue logique avec le danger de voir un jour leurs conclusions contredites sur certains points. De surcroît, la Sécurité Sociale est à première vue un marché d'assurance particulièrement complexe et impur. Non seulement se posent à son sujet les épineux problèmes de la sélection et du contrôle des risques par l'assureur - problèmes évoqués dans la littérature économique sous les noms d'anti-sélection et de risque moral-, mais il s'y ajoute au moins deux particularités supplémentaires. La première est, qu'à l'origine, la Sécurité Sociale a entendu couvrir des risques liés à l'exercice du travail en entreprise. 0r> ceux-ci créent manifestement des externalités qu'employeurs et employés ont cherché à internaliser par des contrats ayant abouti aux dispositifs actuels. On s'efforce parfois d'appréhender ce type de problème en envisageant les transferts sociaux comme un "salaire indirect". La seconde particularité de la Sécurité Sociale est que cotisations et prestations y sont couramment assises sur les revenus des salariés, lesquels ne semblent pas évidemment liés, en tout cas pas étroitement, aux multiples risques assurés. Peut-être est-ce ce qui fait conclure à beaucoup que les transferts de Sécurité Sociale servent un objectif politique autonome de redistribution des revenus.

Le dernier obstacle à surmonter pour tendre vers l'objectif visé est d'ordre empirique. Nous devions étendre les données internationales que nous avions construites dans un article récent (Lévy- Garboua, 1985) pour rendre compte des principales propriétés et configurations des systèmes de Sécurité Sociale. Ce travail, à lui seul, aurait pu justifier une étude dans la mesure où la plupart des variables que la théorie permet de concevoir ne sont pas immédiatement disponibles. Comme nous voulions d'emblée construire un fichier de taille suffisante pour autoriser des vérifications statistiques, il nous a fallu consentir un effort patient et considérable, mais néanmoins très imparfait, pour étendre les premières données dans le temps, dans l'espace, et en substance. Les mesures, qui commençaient en 1960 et s'arrêtaient en 1977, ont été mises à jour en 1980, les délais de publication des statistiques internationales ne permettant pas d'aller plus loin. L'échantillon initial de 20 pays -tous appartenant à l'OCDE- a pu être étendu en fin de compte à 44 pays, les uns industrialisés, les autres en développement. Enfin, on est parvenu à saisir un nombre de variables beaucoup plus élevé que dans notre première étude, et notamment des indicateurs décrivant les conditions d'attribution des prestations.

Le premier chapitre décrit les principales configurations des systèmes de Sécurité Sociale dans 21 pays de l'OCDE. Il n'y est pas fait mention explicite de la théorie de l'assurance. Celle-ci est rappelée, et résumée pour notre propos, au chapitre 2 qui traite des marchés d'assurance efficients. Le chapitre 3 discute des liens entre la justice et l'assurance. Enfin, l'hypothèse d'assurance est appliquée à la Sécurité Sociale au chapitre 4, sur un échantillon de 44 pays.


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