Les dispositifs d'insertion face aux problèmes de santé

D. Chauffaut - E. David - S. Guilloux - C. Olm

Cahier de recherche N°C208

Résumé

La santé est une question sociale. L'existence de liens entre la situation sociale, et en premier lieu, la position dans la hiérarchie sociale, et la santé, a été démontrée dans de nombreux travaux parmi lesquels on peut citer, en plus de ceux du CREDOC, les recherches de l'INSERM, du CREDES, de la DRESS.

Le CREDOC a été récemment confronté à cette problématique lors de trois types de travaux.

Le premier d'entre eux correspond à une recherche sur la perception de la santé, à l'occasion de laquelle des différences notables ont pu être soulignées entre les catégories socio-professionnelles sur leur définition de la santé, et leur gestion de celle-ci.

Le second concerne les nombreuses évaluations du dispositif RMI qui ont été conduites par le département Évaluation des Politiques Sociales, programmes d'études au cours desquels la gestion de la santé des allocataires - perçus comme ayant des problématiques spécifiques - fait souvent l'objet d'une interrogation.

Plus spécifiquement, un diagnostic local partagé a permis, sur un territoire, d'appréhender les interactions perçues par les acteurs de terrain, ainsi que par les habitants eux-mêmes, entre la question de l'insertion et des conditions de vie, et la santé, conçue dans une optique plutôt large.

Ces travaux ont souligné à la fois l’importance de la problématique de la santé, ses liens avec la problématique de l'insertion, et les difficultés à traiter cette relation. Ces difficultés peuvent être regroupées en plusieurs dimensions.

La première concerne l'importance et la variété du champ de la santé, ainsi que l'évolution de ce champ. Schématiquement, on peut opposer deux conceptions de la santé.

Dans la première vision, la santé est opposée à la maladie, elle est absence de maladie. Cette définition est une conception plutôt traditionnelle.

Dans la seconde vision, la santé est rapprochée du bien être, elle déborde de la simple non maladie. Cette seconde vision, plus récente, est celle qui est proposée par l'Organisation Mondiale de la Santé : "un état de complet bien-être, physique, mental et social, ce qui ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité". Cette vision est plus large que la vision traditionnelle de la santé, car elle intègre un état de bien être qui ne correspond pas seulement à l'absence de maladie. Elle prend également en compte la santé psychique ou mentale, en dehors de toute classification en termes de maladie psychiatrique.

Ces deux conceptions induisent deux façons d'appréhender les problèmes de santé. Dans la première optique, on raisonne en terme de maladie : malade ou en bonne santé. Dans la seconde, on considère un continuum : on peut être en mauvaise santé, plutôt en bonne santé ... Dans le premier cas, le traitement consiste à soigner des personnes malades, dans le second, à améliorer l'état de santé de toute la population.

Aujourd'hui, la seconde vision, défendue par l'OMS, tend à prédominer. Le champ de la santé devient alors très complexe : il intègre par exemple des dimensions de mal-être psychologique, de dépendance (alcoolisme, toxicomanie ...) et de comportement (hygiène de vie...). Cette importance du champ et la difficulté à en cerner les limites peut rendre complexe le repérage des problématiques, et leur "objectivation".

La seconde concerne le lien entre la santé et l'insertion.

Si ce lien semble avéré, pour tous les acteurs sa signification en apparaît ambiguë. Dans quelle mesure est-ce la santé qui est responsable des difficultés d’insertion, ou ces difficultés qui provoquent des problèmes de santé ?

Comment traiter cette relation pour permettre une amélioration dans les deux domaines ?

La troisième concerne les pratiques professionnelles

Envisagées du point de vue sanitaire comme du point de vue du travail social, les pratiques professionnelles sont en évolution. Ainsi, parallèlement à l'évolution de la notion de santé vers un terrain plus large, la prise en charge médicale se doit de considérer le patient d'un point de vue plus global. La mutation est particulièrement flagrante dans le domaine de la psychiatrie, dont les objectifs sont passés d'un soin de la maladie mentale à la prise en charge de la santé mentale4.

Du côté du social, on assiste depuis longtemps à une évolution vers une prise en charge globale de la personne au lieu de la traditionnelle prise en charge segmentée de ses problèmes.

Même si les deux secteurs se rejoignent sur une volonté de prendre en compte de façon plus complète l'individu, des différences fortes de logique persistent.

Ainsi, du côté du secteur social, la logique d’accompagnement est fréquemment une logique de travail en réseau : les travailleurs sociaux orientent, et cette orientation prend la forme d’injonctions plus ou moins fortes, des allocataires vers des prestataires qu’ils connaissent. Ils attendent de ces derniers un retour sur les résultats de cette prescription. Les actions dans le domaine de la santé ne font le plus souvent que peu partie de ces réseaux. Par ailleurs, elles ne permettent pas de retour sur l’action (couverte par le secret professionnel), et, en particulier en ce qui concerne les problèmes psychologiques, sont fondées sur le volontariat et une démarche active des bénéficiaires.

Ce cahier de recherche a pour objectif d'apporter quelques éléments de réponse à ces questions.

Il repose sur l'hypothèse que, face à une problématique globale d'un état de santé dégradé de la population en situation d'exclusion, la réponse publique apparaît pour le moment ponctuelle et disparate, avec toutefois certaines expériences menées qui pourraient donner lieu à une généralisation.

Nous avons choisi de ne pas nous intéresser aux politiques visant des publics comme les travailleurs handicapés. Pour ces personnes en effet, la problématique de santé est première par rapport à la problématique d'insertion, en tout cas dans la catégorisation faite par la société et acceptée par les personnes qui bénéficient d'une reconnaissance COTOREP5.

Nous avons plutôt choisi une population où le lien entre la santé et l'insertion apparaît plus ambigu. Les allocataires du RMI nous ont semblé une population de référence intéressante. D'une part, ils sont par définition dans une situation d'insertion difficile ; d'autre part, comme ils sont pour beaucoup suivis par un service social, nous avons des éléments d'information à leur sujet. Enfin, leurs caractéristiques sont suffisamment hétérogènes pour ne pas refléter des problématiques de catégories très spécifiques. Il faut toutefois prendre garde à la visualisation du problème : le dispositif, en catégorisant les personnes, montre une population circonscrite et en stigmatise les difficultés.


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