Résumé
La « funflation », contraction de fun (amusement) et inflation, désigne l’attrait croissant des Français pour des formules de loisirs premium comme les concerts, les festivals, les événements sportifs, les parcs à thème, les voyages, les restaurants ou l’hôtellerie en parallèle d’une augmentation significative des prix de ces divertissements. Ce phénomène s’est développé aux États-Unis et en Europe. Il a d’abord semblé s’inscrire dans une logique de « revanche post-Covid » : après deux années de restrictions, les individus cherchaient à compenser le temps perdu en multipliant les expériences mémorables. Pourtant, quatre ans après, l’attrait pour ces formules perdure. Le CRÉDOC a souhaité mesurer les motivations des Français pour ces loisirs qui relèvent de la funflation. L’enquête Tendances de consommation montre qu’un tiers des Français y a succombé au cours des douze derniers mois. Deux catégories sont particulièrement concernées : d’un côté des ménages aisés, aspirant à plus de confort ou de luxe, et de l’autre des jeunes, des diplômés, des Franciliens à la recherche de moments d’exception, d’expériences intenses, parfois partagés avec un petit nombre de personnes, durant lesquels ils peuvent se mettre en scène sur les réseaux sociaux. L’engouement pour ce type d’offres, en permettant à chacun de vivre et de partager des expériences fortes, uniques et sur mesure, révèle une tendance de fond. Il amène une partie de ces adeptes à restreindre leurs dépenses au quotidien pour s’offrir ces formules de loisirs premium.
En un an, trois Français sur dix se sont offert au moins un loisir premium
Fin mars 2025, un Français sur trois (33 %) a acheté des prestations de loisirs haut de gamme. La pratique la plus courante concerne l’achat de billets de concerts, d’événements sportifs, d’expositions à des prix que les consommateurs eux-mêmes trouvent élevés. 23 % déclarent l’avoir fait au cours des douze derniers mois. Le fait de payer cher pour assister à certains spectacles reflète une tendance du marché des loisirs post-Covid marquée par une inflation pour les événements les plus convoités. Selon Pollstar, société qui recense les données concernant les billetteries de concerts, le prix moyen des places de concert des cent plus grosses tournées américaines aurait ainsi crû de 37 % entre 2020 et le premier trimestre 2024.
Une partie des consommateurs est également séduite par des formes d’hébergement et de restauration de luxe : 11 % déclarent ainsi avoir fréquenté dans l’année un restaurant étoilé et 8 % avoir loué un hébergement d’exception, une croisière ou un trajet en train de luxe. Les expériences immersives ou en réalité virtuelle ont, quant à elles, attiré 6 % des Français sur un an. Ce type d’offre ne cesse de se développer avec l’émergence de propositions hybrides, à la frontière du loisir et de la culture. Elles proposent au public une immersion sensorielle et émotionnelle dans une époque, au cœur d’une civilisation ou dans l’univers d’un grand maître à travers des expositions temporaires ou permanentes. Même les grandes institutions s’y essaient. Le Musée d’Orsay a ainsi proposé l’an dernier, en complément à l’exposition « Paris 1874, inventer l’impressionnisme », une expérience immersive en réalité virtuelle qui permettait de revivre l’inauguration de la première exposition impressionniste. Enfin, au-delà d’un spectacle ou d’une exposition, de nouvelles offres premium retiennent l’attention des consommateurs comme rencontrer de manière privilégiée un artiste ou un sportif, accéder à une loge ou à une soirée privée, bénéficier d’une session personnalisée de shopping ou de jeu, ou acquérir un billet coupe-file. 5 % des Français ont souscrit chacune de ces offres au cours des douze derniers mois. Si elles séduisent une faible part de consommateurs, ces formules VIP contribuent à l’envolée des prix des spectacles et loisirs les plus demandés par le public.
Deux profils d’acheteurs : des jeunes et des ménages aisés
Les personnes aux revenus élevés constituent un premier groupe d’acheteurs intéressé par ces formules. 45 % des individus disposant de revenus mensuels supérieurs à 3 100 euros ont réalisé ce type de dépenses. Les cadres sont aussi de la fête. Mais ce sont surtout les jeunes qui dépensent pour des expériences premium : 50 % des 18-24 ans et 39 % des 25-34 ans. Il s’agit aussi de diplômés du supérieur et de Franciliens. Ils incarnent une génération de consommateurs « malins » qui, malgré des contraintes budgétaires plus fortes que la moyenne, multiplient les astuces pour accéder à des offres « exclusives ». 42 % de ces consommateurs malins ont ainsi acheté au moins une formule haut de gamme au cours des douze derniers mois, contre un tiers de l’ensemble de la population. C’est parmi les jeunes et les Franciliens que la diversité des pratiques est la plus élevée : si 9 % des Français ont expérimenté au moins trois offres culturelles ou de loisirs de ce type, c’est le cas de 19 % des Franciliens et de 16 % des moins de 35 ans. Ces multi-utilisateurs apparaissent ainsi comme les moteurs de la croissance des loisirs premium.
Parmi les jeunes, un groupe retient particulièrement l’attention : ceux qui recourent au digital pour préparer et réaliser un achat. 67 % de ces consommateurs digitaux ont acheté au moins une formule de loisirs premium au cours des douze derniers mois, soit deux fois plus que la moyenne des Français. Ils expriment un fort désir de consommer et sont particulièrement motivés par l’innovation technologique et par des offres personnalisées. Pour s’offrir ces formules exclusives, 61 % envisagent de se restreindre sur des achats du quotidien. Ces restrictions concernent plus souvent l’alimentation et les assurances, mais pas les équipements informatiques et high-tech utilisés pour consommer des loisirs et pour se mettre en scène auprès de communautés d’intérêt. Ces consommateurs digitaux recourent à l’intelligence artificielle ou à l’avis des influenceurs pour préparer leurs achats. Ce sont également des spécialistes de l’achat malin via le recours aux produits premiers prix et aux marques de distributeur. Les consommateurs contraints ou montrant une certaine distance vis-à-vis de la consommation sont, quant à eux, logiquement moins nombreux à recourir à des loisirs haut de gamme.
Vivre une expérience unique, s’assurer un confort et s’échapper du quotidien
La recherche d’une expérience unique et la volonté de s’échapper du quotidien vers un monde ludique et sans contrainte font partie des principales motivations animant ces consommateurs. Ces deux motivations sont autant partagées par les consommateurs aisés que par les plus modestes, par les jeunes que par les plus âgés. Il s’agit du socle commun d’attentes. Toutefois, derrière la notion d’expérience unique se cachent deux conceptions différentes des loisirs. Deux tiers des personnes ayant opté pour des offres premium sont motivées par l’accès à des formules offrant des conditions plus agréables et confortables que les formules de base. On y retrouve plus souvent des consommateurs aisés ou des cadres. Cet argument est aussi plus souvent cité par les retraités. 85 % des 65- 74 ans ayant acheté des formules exclusives citent également cette motivation. En avançant en âge, l’importance accordée au confort s’accroît. Le vieillissement de la population devrait ainsi renforcer l’attractivité des formules premium misant sur le confort. Chez les jeunes, les hommes et les Franciliens, l’expérience unique est davantage synonyme d’un moment d’exception, tant par son intensité (par exemple rencontrer une star), que par sa rareté (vivre un moment difficilement accessible au plus grand nombre à travers une formule VIP). Il s’agit de partager cette expérience de loisirs avec les membres d’une même tribu (par exemple des fans) et de se mettre en scène en communiquant sur les réseaux sociaux. Ces motivations sont plus souvent mises en avant par les consommateurs qui envisagent de se restreindre au quotidien pour accéder à ces formules.
Exprimer son identité par la consommation de loisirs exclusifs
Ces formules s’inscrivent dans le développement d’une consommation croissante de loisirs depuis la fin de la période Covid où la recherche d’émotion, de sensation, prend le pas sur la détention d’objets. Les dépenses de loisirs récréatifs et sportifs des ménages ont ainsi progressé de 17 % en volume par rapport à 2019, dans un contexte de croissance générale des dépenses de services. Dans le même temps, les dépenses en biens diminuaient de 4 %. L’engouement pour les loisirs expérientiels s’accompagne d’une intention accrue d’augmenter ses dépenses dans d’autres domaines de loisirs comme les abonnements à des activités sportives ou culturelles, à des services de streaming ou de plateformes de musique et de vidéo à la demande. Les consommateurs de loisirs haut de gamme envisagent également d’accroître leurs dépenses de restauration. Bien plus qu’une revanche prise sur les périodes de confinement, l’attrait pour ces formules contribuant à la funflation en promettant à chacun de vivre et de partager des expériences fortes, uniques et sur mesure, illustre des aspirations profondes. Les loisirs premium renforcent le processus d’individualisation : les Français y trouvent une occasion de façonner et de raconter leur propre histoire, affirmant ainsi une identité narrative singulière, construite librement, en dehors des cadres collectifs traditionnels.