La dynamique interne du récit
Contribution au traitement et à l'analyse des entretiens non directifs de recherche

P. Le Quéau - M. Brugidou

Cahier de recherche N°C124

Résumé

Ce cahier de recherche propose une réflexion méthodologique sur l'entretien non directif de recherche et propose un autre cadre de définition pour cette méthode afin éclaircir certaines des questions que pose sa pratique, notamment dans les enquêtes réalisées par le CRÉDOC.

En effet, si l'entretien non directif de recherche (ENDR) a fait l'objet de nombreux commentaires depuis une quinzaine d'années qui tendent souvent à le " réhabiliter ", son usage dans la pratique sociologique n'est toutefois jamais véritablement sorti du registre de l'accessoire. Or cette équivoque tient sans doute au fait que n'est toujours pas clarifié le " statut de la parole des gens " interrogés dans le cadre d'une enquête.

La première proposition avancée dans ce cahier de recherche tient précisément dans un autre regard que nous suggérons de porter sur le produit d'un ENDR. Au lieu de le considérer comme le support neutre et transparent d'une information qu'il convient d'extraire de sa gangue discursive, et de purifier (de valider), il faut y voir un récit. La nuance peut paraître subtile, elle n'en est pas moins fondamentale. Il en découle notamment le fait que le récit, comme l'ont déjà montré dans les années 60 les détracteurs de l'analyse structurale, obéit à une " grammaire " qui lui est propre et qui est loin d'être insignifiante.

Le cahier de recherche présente donc les résultats d'une analyse qui tend à mettre en évidence cette logique interne du récit selon laquelle s'ordonnent et s'articulent ses différents épisodes. L'expérience s'appuie sur un logiciel d'analyse des données lexicales (TROPES).

Le principe de cette dynamique interne du récit tient dans la répétition. Dans la situation d'un récit improvisé oralement, la personne interrogée ne possède qu'exceptionnellement la faculté de produire un discours sans répétition, qu'elle soit littérale ou bien anaphorique. Au contraire, comme le suggèrent les cognitivistes, la répétition apparaît comme le mécanisme selon lequel se produit la cohérence référentielle, c'est à dire l'unicité du discours. Son sens pourrait-on presque dire d'un point de vue plus phénoménologique.

Il ne s'agit cependant pas d'une simple répétition du même mais d'une répétition " perfectionnante " qui permet une certaine progression de la narration en même temps qu'elle produit une continuité entre des séquences thématiques différentes. Finalement, le récit improvisé dans le cadre d'un entretien, fût-il " de recherche ", présente toutes les caractéristiques formelles du récit mythique dont parle C. Lévi-Strauss dans son Anthropologie structurale. La répétition apparaît comme la condition de la production de " paquets de sens ", de ses épisodes et de leur " mise en intrigue ".

La conclusion de cette expérience qui présente donc un autre niveau de lecture du récit (l'objectivation des épisodes et du mécanisme de leur articulation) ouvre un débat sur le sens de ces séquences douées d'une certaine consistance. Une des pistes présentées renvoie d'une part à la perspective offerte par la sociologie de la compréhension et d'autre part à la notion de typification développée notamment, par W. Dilthey, M. Weber et A. Schutz. Finalement, cette mise en évidence de la dynamique interne du récit peut donc déboucher sur une discussion sur les principes de la " construction sociale de la réalité ".


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