Le taux d'épargne des ménages dans cinq grands pays de l'OCDE Problèmes de mesure et analyse sur le moyen terme

A. Galibert

Collection des rapports N°R47

Résumé

Peut-on correctement comparer les taux d'épargne dans les grands pays de l'OCDE ? Comment interpréter les écarts observés depuis les années soixante entre les Etats-Unis, le Japon et les pays européens ? Peut-on déduire de la comparaison une grille de lecture des évolutions des taux observées dans les années quatre-vingt. La démarche adoptée ici a permis de déblayer le terrain. Les plus gros biais statistiques ont tout d'abord été corrigés, ce qui a rapproché le taux d'épargne américain de ceux des autres pays, à l'exception de celui du Japon dont le niveau s'affirme extrêmement élevé. La deuxième étape était plus délicate dans son principe mais justifiée : il a fallu harmoniser le traitement comptable de la protection sociale des pays, dans la mesure où la perception qu'ont les ménages de certains de ces transferts n'est sans doute pas aussi radicalement différente d'une économie à l’autre que ne le feraient penser les méthodes comptables. Ceci n'a pas permis de réduire l'écart japonais, En revanche, le calcul a dégagé une lecture originale de la baisse spectaculaire du taux d'épargne américain dans les années quatre-vingt. Elle ne serait que le reflet d'une imputation comptable fort éloigné du comportement des ménages. Ainsi se trouve nuancée, voire invalidée, la thèse mettant en avant le caractère "anormalement dépensier "des ménages américains dans les années récentes.

L'ultime étape consistait à élargir l’approche comptable de l'épargne en intégrant a priori les variations réelles de la partie liquide puis investie du patrimoine des ménages dans leur revenu. Ceci nous a permis de porter un cran plus haut la tentative d'harmonisation.

L'inflation modifie partout la perception des niveaux et des profils des taux d'épargne sur les années soixante-dix comme sur les années quatre-vingt. C'est notamment le cas au Japon où l'observation du ratio corrigé suggère un comportement d'épargne relativement "régulier" en longue période mais perturbé pendant plusieurs années par la vigueur du choc inflationniste de 1973/1974 et la dévalorisation des patrimoines financiers des ménages qui l'a suivi. La correction pratiquée est-elle licite d'un point de vue des comportements ? L'exemple américain montre un effet d'encaisses réelles fort, proche de l'équivalence adoptée en principe de correction. Le résultat suggère que l’on tient là un facteur essentiel de l'évolution de moyen terme des taux d'épargne.

L'observation des variations de la richesse financière des ménages est déroutante. La comparaison a permis de confronter des évolutions nationales connues… En supposant que les gains en capital représentent bien un revenu "caché" de la part des ménages, la forte divergence japonaise est maintenue, mais le comportement de moyen terme de l'épargnant américain apparaît alors plus proche de celui de l'épargnant européen : se dégage un élément d'interprétation lié à l'accumulation patrimoniale des ménages sur la longue période qu'il conviendrait de consolider. Cependant, la validité de la correction sur le plan des comportements a été fortement questionnée par l'économétrie américaine. Il se confirme que la propension à consommer les plus-values financières est faible, ce qui affaiblit la portée d'une comparaison internationale des taux incorporant les plus-values.

Enfin, L'incorporation des plus-values immobilières et foncières s'est révélée surprenante. Les résultats demeurent fragiles, limités par le nombre restreint de pays sous revue. Ils montrent cependant l'importance cruciale jouée dans certains pays par les gains en capital dégagés sur des actifs non-financiers. Ceux-ci peuvent être porteurs d'effets de richesse dépassant largement en masse ceux induits par l'évolution de la sphère financière. L'exemple américain, là aussi a montré qu’ils influaient sur les comportements financiers à travers la dynamique d’endettement. Ils représentent un vecteur sans doute essentiel de l’intégration des comportements réels et financiers qui demeure encore mal connu et peu présent dans les analyses traditionnelles de l'épargne…

A partir de ces résultats, il est maintenant possible de faire un pas supplémentaire dans la compréhension des divergences de taux d'épargne entre pays. L'enchaînement des corrections produit plusieurs résultats frappants : renforcement de la spécificité japonaise, rapprochement des taux américain français et allemand, chute du taux britannique, inversion des positions française et allemande. Il est remarquable d'observer que la nouvelle hiérarchie cadre parfaitement avec la tentative de classification des pays en fonction des arguments théoriques mis en avant par la théorie du cycle de vie., ce qui n'est pas le cas en utilisant les ratios officiels. Le résultat devrait être confirmé sur un échantillon plus représentatif, mais renforce l'idée d'une détermination structurelle des niveaux des taux en fonction des caractéristiques socio-démographiques des pays… Il invite à travailler la validation empirique de la théorie sur des taux d'épargne harmonisés.

Le point le moins élucidé de cette étude est sans doute le comportement des ménages vis-à-vis du crédit. L'endettement des ménages est très différent d'un pays à l'autre. Mais a-t-il contribué significativement aux écarts des taux d'épargne ? Le crédit a littéralement explosé dans les pays sous reveu, mais les résultats économétriques ne permettent pas vraiment de lui attribuer un rôle précis dans les évolutions du taux américain. A-t-il simplement accompagné la consommation des ménages, et l'achat des biens durables ou bien l'offre de crédit a-t-elle été un facteur décisif ?

Répondre à la première question exigerait d'explorer dans chaque pays les contraintes de liquidités et leur rapport avec l'offre de crédit.

Répondre à la deuxième question nécessiterait d'estimer des modèles plus complexes du comportement des ménages, où consommation, achats de biens durables, investissement logement et demandes de crédit seraient simultanément déterminés. Parallèlement, l'offre de crédit devrait être spécifiée. Ces deux thèmes semblent des pistes intéressantes pour une prolongation de cette recherche.


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